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Platon et Aristote devant l’iTunes Store

Comme chacun sait, ou devrait le savoir à partir de son cours de philosophie 101, Platon et Aristote n’étaient pas d’accord. Leur querelle portait sur la nature des idées. Les idées, qu’ils appelaient «des formes», sont-elles issues de notre compréhension des choses comme disait Aristote le terrestre, ou, comme disait le divin (et pythagoricien) Platon, plutôt la réelle matrice du monde dont le monde matériel qui nous entoure n’est qu’une image.

J’ai trouvé habile de convoquer ces deux figures poussiéreuses de l’histoire pour parler de disques, de fichiers MP3 et d’achats en ligne. Récemment, un avocat expliquait que le statut de la musique que l’on achète avait changé du tout au tout depuis le disque compact laser. Avant, c’est à dire du rouleau de cire au disque de silicone, ou encore de la bande VHS au DVD, le propriétaire d’un disque ou d’un film pouvait acheter, posséder et revendre son bien culturel. Disques et films étaient traités comme un livre: un objet qui se transporte et s’échange.

Maintenant, ce n’est plus le cas. Ou en tous cas, il sera bientôt interdit, sous peine d’onéreuses conséquences, d’organiser l’échange commercial de fichiers MP3 (…ou AVI ou MOV). En effet, certains sites spécialisés vous proposent de donner les fichiers que vous ne désirez plus pour en acquérir d’autres. Une sorte de cyberbouquinerie basée sur le modèle du marché aux puces: 3 disques pour le prix d’un, tout le monde est content, sauf l’industrie! Les fichiers que vous n’écoutez plus disparaissent de votre disque dur et sont remplacés par de la nouvelle musique. La même chose fonctionne avec les films.

Notre avocat radio-canadien expliquait que «les petits caractères que personne ne lit et sous lesquels tout le monde clique “j’accepte”» expliquent noir sur blanc que le matériel culturel vous est en réalité plutôt prêté que vendu. La compagnie peut en effet en tout temps reprendre sa propriété (contre dédommagement s’entend). Cela, disait-il, laisse apercevoir que de tels produits culturels sont vus dorénavant comme des copies virtuelles d’un seul modèle qui reste à jamais sous la possession exclusive de celui qui détient les droits d’exploitation de l’œuvre.

C’est une conception follement platonicienne de l’œuvre d’art. Les consommateurs ne peuvent qu’ouvrir une fenêtre sur les produits culturels qu’ils achètent, tout comme s’il n’existait en réalité aucune véritable copie de l’œuvre, mais seulement des fantômes qu’il serait possible de faire disparaître du monde réel, comme on se débarrasse d’un songe.

Et pourtant dirait Aristote, il y a bien transfert de données. Le disque a une capacité maximale de stockage, ce qui prouve bien que nous emportons avec nous une copie de l’œuvre. Acheter un disque MP3, ce n’est pas comme l’écouter à la radio. Il n’est pas nécessaire d’être connecté, et une fois qu’on a acheté le produit on peut le modifier autant qu’on veut. Voire, si la copie s’est mal faite, on peut demander au fournisseur de répéter l’opération de copiage.

Je vais rester sobre pour conclure. Il est certain que les gens de toge ne parleront pas de Platon et d’Aristote quand viendra le temps de statuer sur ce problème. Il y a longtemps que le Parménide de Platon n’est plus une référence au barreau. Mais il est quand même fantastique qu’une des questions les plus actuelles en esthétique rappelle une des articulations majeures de l’histoire de la métaphysique.

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